Libéralisme économique ?
Tout les médias nous le soutiennent mordicus : nous sommes à l’ère du libéralisme économique. Qu’on soit à l’ère du capitalisme, rien de surprenant, mais libéralisme ? Plongeons donc dans les arcanes de l’économie du 20e siècle… Car si l’économie est dite libérale, c’est parce qu’elle s’est construite en réaction à l’économie centralisée soviétique, et qu’elle a été bâtie au début du 20e , principalement par des anglo-saxons, pour qui la liberté est LA grande question. Mais de là à dire qu’elle soit libérale en pratique, en France en particulier, il y a un pas à franchir…Analysons donc cette différence entre théorie et pratique, histoire de voir si c’est réellement le libéralisme en lui-même à qui les maux des sociétés occidentales modernes sont imputables.
La théorie économique contemporaine possède une clef de voûte : la théorie de l’équilibre général, énoncée par Walras et Pareto. Il s’agit là d’un théorème mathématique :
L’équilibre économique, situation la plus efficace (maximisant le bien-être social), c’est-à-dire la situation pour laquelle l’offre égale la demande, est atteinte en laissant le marché tâtonner de lui-même vers l’équilibre, via la concurrence. Voilà pour le théorème qui fonde le libéralisme économique (à ne surtout pas confondre avec le libéralisme philosophique).
Tout ceux qui ont deux ou trois bases en mathématiques (l’économie moderne est matheuse à souhait) savent que bien plus que le théorème en lui-même, ce sont les hypothèses qui le sous-tendent qui importent. Ces hypothèses sont-elles respectées ?
Nous allons voir que les deux principales hypothèses ne le sont pas…
L’équilibre est donc atteint à condition que :
1) les consommateurs soient rationnels (et cherchent à maximiser leur satisfaction)
2) la concurrence est permise (tout le monde peut entrer sur le marché et en sortir à sa guise, et il n’y a pas de situation de monopole ou d’oligopole, le nombre d’agents est infini)
L’ennemie de la rationalité, nous la connaissons bien, c’est la publicité. Attention, pas toute publicité, mais les publicités qui s’adressent à votre inconscient. Par exemple, une publicité pour un voyage exotique qui vous propose un magnifique lagon bleu alors que nous sommes au début de l’été, et que vous souffrez terriblement de la chaleur dans un métro bondé. Comment voulez-vous faire un choix rationnel avec ça ? Sans compter les publicités alimentaires, qui parlent directement à votre ventre, et les publicités à caractère sexuel, lesquelles conversent avec votre organe sexuel ou avec les tréfonds du Ca freudien.
Le consommateur n’est donc que peu rationnel, surtout si on lui envoie des incitations à l’achat ailleurs que dans les lieux où il achète. C’est surtout son inconscient qui choisit pour lui. Essayez de déterminer ô combien rationnels ont été vos choix de yaourts après le passage par le rayon produits laitiers, vous allez déchanter !
Maintenant, parlons de la concurrence : avec des situations rocambolesques comme l’existence de trois opérateurs de téléphonie mobile seulement qui se partagent le marché des portables, comment penser que les règles de la concurrence sont respectées dans tous les secteurs de l’économie ? Je vais continuer sur l’exemple de la téléphonie mobile…
Il y a des régulations pour ces malversations, un conseil de la concurrence, des amendes (salées), mais de toutes évidence cela ne suffit pas : les petits n’arrivent pas à percer en matière de téléphonie.
Aux chiottes la concurrence, voilà le credo de l’oligopole téléphonique. Et c’est un cercle vicieux : les protagonistes de l’oligopole se supportent et font semblant de se concurrencer. Eh oui, s’il y avait un monopole, ce serait louche, mais un oligopole, pas de problème, à trois, y a de la concurrence ! Je signale à ce propos que dans la théorie de l’équilibre général concurrentiel, il y a un nombre infini d’agents (producteurs comme consommateurs). Vous remarquerez la légère différence entre trois et l’infini.
Tout ça pour vous dire, avec désolation, qu’on peut bien hurler contre le vilain libéralisme, somme de tous les maux pour certains altermondialistes ! Le libéralisme n’est pas réalisé. Tout simplement parce que comme tout ce qui est libertaire, il s’agit d’une utopie. Il y a toujours une tendance de l’humain (et donc des entreprises créées par lui) à restreindre la liberté d’autrui afin d’accroître sa puissance sur les choses. Le libéralisme est un rêve d’économistes mathématiciens, qui semblent d’ailleurs plus mathématiciens qu’économistes. J’aime beaucoup les mathématiques, mais nom d’un chien, laissons-les à leur place ! Elles n’ont pas réponse à tout…
Cela dit, il serait injuste de jeter uniquement la pierre aux économistes, puisque c’est tout de même l’Etat qui est chargé de limiter les atteintes à la liberté des personnes, qu’elles soient morales ou physiques, à ce qu’il me semble.
Et ces atteintes, on peut les lister :
_le non-respect du droit à la concurrence (pour les personnes morales)
_l’incitation à l’achat sur un mode impératif dans les lieux publics (pour les personnes physiques) , cf. le métro évidemment…
Ces deux maux sont évidemment liés, puisque la publicité de masse, coûteuse, ne favorise nullement l’entrée de petites entreprises sur le marché (sauf peut-être sur le seul lieu encore libertaire, j’ai bien sûr nommé l’Internet ! )
Après ce panorama déprimant, une petite note d’optimisme. Récemment (l’année dernière), les économistes qui ont reçu le Nobel s’occupaient d’économie comportementale, ce qui fait que l’on va peut-être, d’ici dix ou vingt ans, comprendre que le consommateur, qui est avant tout un être humain et non une entité abstraite 100% rationnelle, ne satisfait pas les hypothèses de la théorie de l’équilibre concurrentiel. Puisque son inconscient l’accapare, le consommateur lambda ne peut maximiser sa satisfaction : il lui faut se satisfaire tout de suite, en vitesse, la vitesse étant un des principaux obstacles à la réflexion construite, rationnelle.
Donc en attendant que le savoir diffuse de la sphère des économistes universitaires à celle de l’Etat et des entreprises, nous avons encore le temps de nous taper dix bonnes année de capitalisme publicitaire, sous l’égide bienveillante des oligopoles des communications ou de l’alimentaire… Vous pouvez donc chanter une ode à la possession matérielle, à la supériorité du marché sur le droit, et ranger le Contrat Social sur l’étage poussiéreux en haut de la bibliothèque…en attendant le jour où on se dira « ben,…heu… en fait, le lien social…heu…se désagrège…comment faire.. ? »
Fred